Il y a trois ou quatre ans, alors que l’enfermisme sanitaire faisait encore rage, j’avais posté sur Twitter une remarque à la fois provocatrice et appréhensive : « Le revival 1990s touche à sa fin. Préparez-vous donc au revival 2000s et au retour des Mostro».
Sitôt le confinement levé, ma petite plaisanterie se vérifia effectivement, à mon grand désarroi. La mode des années 2000, celle de mon adolescence, connaissait enfin son revival. Et Puma a effectivement ressorti la monstrueuse Mostro.
Ceci signifiait deux choses, également déprimantes : Tout d’abord, si les ados s’habillaient désormais comme je m’habillais moi au collège, ça voulait dire que je commençais à me faire vieux. Ensuite, cet énième revival, faisant suite à celui des 80’s et des early 90’s, me prouvait définitivement que les mouvements de mode de l’ère postmoderne n’avaient fait que tourner en boucle depuis le début. Et cette spirale infernale semblait tourner de plus en plus vite à l’ère de l’immédiateté numérique.
De la fin de l’histoire à la fin de la mode
Vous avez peut-être remarqué que les mouvements de mode post-modernes consistent souvent à s’inspirer de la mode d’il y a 20 ans auparavant. C’est un phénomène que j’avais observé pour la première fois alors que j’étais enfant à la toute fin des années 1990. Le post-grunge, le rock alternatif, Alanis Morisette, Louise Attaque, Le péril jeune et les premiers épisodes de That 70’s show : tout ceci puait le revival 70’s. Sans oublier le bref retour du disco dans ces années-là (souvenez-vous de la reprise de Yannick), surtout pendant cet été 1998 que seuls les vrais de vrai ont eu la chance de connaitre.
L’esthétique Y2K tire donc pas mal d’inspirations seventies : l’exubérance des rondeurs, l’amplitude des vêtements, le design moderniste, le rétro-futurisme naïf, le succès des films d’horreurs, de la science-fiction et des comédies graveleuses (Scream, Saw, X-Files, Independance Day, American Pie, etc).
Quelques années plus tard, dans la seconde moitié des années 2000, on assiste à un revival des 80’s. Chose curieuse : ce revival ne s’est pas vraiment éteint à ce jour, malgré la montée actuelle du revival 2000s. Mais en réalité, toute cette nostalgie pour les décennies 80, 90 et Y2K ne forment qu’un seul bloc.
Je crois que ceci s’explique par le fait que ces trois décennies donnent aujourd’hui l’image d’un Occident idéal, incroyablement positif et confiant, excessif, conquérant, bold, unapologetic. C’est l’Occident de la fin de l’histoire du Francis Fukuyama, c’est la victoire du libéralisme et du « monde libre ». Le mur de Berlin est tombé. Les Etats-Unis et l’OTAN règnent désormais en maîtres sur les sept mers. L’opération Desert Storm en Irak, puis le bombardement de la Yougoslavie en furent les démonstrations.
La haute technologie devenait mainstream, la culture des jeux vidéos s’imposait dans tous les salons où la Sega Saturn tronait fièrement aux côtés du combi VHS-CD-DVD Dolby Surround Panasonic. L’informatique pénétrait dans un nombre croissant de foyers et d’entreprises alors que l’internet 1.0 connaissait sa première grande ruée vers l’or avec la bulle dot com des années 1998-2002.
Il y a une telle énérgie, une telle positivité dans ces années-là qu’il n’est pas surprenant que nous continuons à éprouver de la nostalgie pour cette période dans le contexte actuel, marqué par l’inflation, la dépression économique de l’Occident collectif et sa perte d’influence à l’international face aux puissances rivales des BRICS. En fait, je pense qu’on peut considérer que de 1973 à 2002, l’Occident a connu une sorte de prolongation des Trente Glorieuses. Cette croissance, toutefois, n’était plus fondée sur l’industrie, de plus en plus délocalisée, mais sur la financiarisation, l’économie de service et le boom digital.
L’optimisme insolent des années 1980 jusqu’au début des années 2000 trébucha une première fois, sans doute, avec l’attaque des tours jumelles du World Trade Center. Je m’en souviens comme si c’était hier. Les politiciens et les journalistes se chargèrent de nous faire passer le message : ce n’était pas seulement l’Amérique, mais tout l’Occident libéral qui était attaqué, touché en son cœur par la barbarie. Et il y avait du vrai : le World Trade Center de Manhattan, c’était le symbole ultime du dynamisme occidental de ces trois décennies qui avaient précédé l’attaque.
Bien sur, la transition prit quelques années à faire son effet. Les USA et l’OTAN se sont immédiatement lancés dans une vaste opération militaire en Afghanistan, puis en Irak, puis en Libye et en Syrie. Mais l’Occident libéral était en réalité un géant aux pieds d’argile. Un géant capable d’aller vitrifier des nations entières pour y faire triompher la démocratie, les droits des femmes, des homosexuels et du grand capital. Un géant capable de mentir les yeux dans les yeux à ses propres citoyens en agitant une fiole de Gatorade devant les caméras pour justifier les ambitions géopolitiques des néo-conservateurs américains.
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir les premiers craquements apparaître et se manifester à l’intérieur même des nations occidentales. Avec la démocratisation d’internet et la naissance de médias alternatifs en ligne, les conglomérats médiatiques n’ont plus le monopole de l’information. Une nouvelle opinion publique émerge. Une partie grandissante de la population ne fait plus confiance au spectacle de la démocratie libérale. En Europe, en 2005, la France et les Pays-Bas votent « non » au référendum pour l’instauration d’une constitution européenne, plongeant les élites technocratiques dans l’effroi.
De même que la chute du WTC, les effets de l’éclatement de la bulle internet furent diffus et ce n’est que lors de l’éclatement de la crise des subprimes en 2008 que l’on commença à s’apercevoir de la vulnérabilité économique de l’Occident et des limites de son modèle.
Pour finir, les opérations otaniennes des années 2000 et du début des années 2010 se soldèrent par des échecs cuisants : les alliés étaient embourbés en Afghanistan, la politique dangereuse des néocons avait permis l’éveil d’un jihadisme radical et meurtrier sous la forme de l’Etat islamique, dont les émules multipliaient les attentats sur le sol européen. En sus de cela, la déstabilisation du Moyen-Orient avait ouvert un gigantesque corridor migratoire vers l’Europe, déstabilisant cette fois-ci les démocraties libérales à l’intérieur même de leurs frontières.
Donc oui, il n’est pas surprenant que la nostalgie des années 80-90-2000 soit encore si répandue aujourd’hui. Le millenial, qui a à peine pu connaitre cette époque et la regrette, tout comme le zoomer qui ne l’a pas connue mais la regrette quand même, se calme les nerfs en écoutant de la synthwave afin d’échapper à l’hyperréalité oppressante.
Le zeitgeist Y2K est en quelque sorte l’épitomé de ces trois décennies de dynamisme occidental.
Singularités de la mode Y2K
Avant d’aller plus loin, il faut faire une distinction importante entre la mode Y2K et la mode du milieu des années 2000.
La mode Y2K, c’est en réalité la mode de la seconde moitié des années 1990 jusqu’aux années 2001-2002, c’est-à-dire de ces cinq ans pendant lesquels le monde se prépare avec optimisme à franchir le nouveau millénaire, jusqu’au retour aux dures réalités avec l’attaque du 11 septembre et l’éclatement de la bulle dot com. A partir de 2001, on passe à proprement parler à la mode « 2K1 », période de transition vers le reste de la décennie.
Il y a quelque chose de proprement fascinant avec l’ère Y2K. Evidemment, on ne s’en rendait pas vraiment compte à l’époque, mais l’an 2000, c’est véritablement le tout début de l’hyperréalité dans laquelle nous vivons encore aujourd’hui.
C’est l’époque où tout le monde pouvait soudainement accéder à internet, donc à l’information décentralisée et au marché global. C’est l’époque où tout le monde commence à disposer d’un téléphone portable, qui était un véritable luxe avant 1996 et à communiquer par SMS. C’est l’époque où les dernières reliques de la culture analogique (cassettes, VHS, DVD, etc) s’effacent au profit de la culture digitale (Napster, le iPod d’Apple, les lecteurs minidisc et MP3, etc). C’est une époque où la leitkulture devient absolument massive, envahissant petit à petit chaque parcelle de nos vies. C’est une époque de prodigieuse accélération technologique qui nous prépare déjà au web 2.0. Bien sûr, tout ceci ne se manifestera avec force que dans les années 2010, mais toutes les bases de notre hyperréalité actuelle ont été posées en Y2K.
A bien des égards, l’esthétique Y2K est extrêmement singulière, bien qu’elle soit aussi l’héritière des courants de modes des trois décennies précédentes.
Des années 1970 et 1980, la mode Y2K hérite de l’optimisme radical, de l’affirmation individualiste et de la passion frénétique pour les nouvelles technologies.
Mais sur ce dernier point, elle surpasse de très loin tout ce qui avait pu se faire auparavant, car pour la première fois, les promesses du futur, naïvement formulées dans la culture pop des années 60 et 70, se matérialisaient sous nos yeux avec l’Internet et ses potentialités extraordinaires. On passe d’une technologie hier encore largement analogique à une technologie digitale.
Il semble aujourd’hui difficile de décrire à quel point nous étions enthousiastes. L’arrivée d’Internet dans les foyers fut une véritable révolution. Nous étions absolument stupéfaits de pouvoir communiquer instantanément par e-mail ou par messagerie avec quelqu’un qui se trouvait à l’autre bout du monde ou d’acheter quelque chose « en ligne ». Il y avait alors une sorte d’hybris générale, une sensation d’infini, la conviction de pouvoir surfer librement dans un cyberespace infini.
L’esthétique qui s’impose alors dans les années 1995-2000 est tout à fait représentative de ce sentiment de vivre enfin dans un futur qui ne pouvait jusqu’ici qu’être imaginé.
Les graphismes de l’époque sont très marqués par des styles « techno » comme l’Abstract Tech et le Cybercore.
On retrouve alors cette esthétique néo-futuriste absolument partout : au cinéma, dans les clips vidéos, sur les pochettes d’album, etc. Les décors, les vêtements, le mobilier : tout est en chrome, en blanc et en noir, comme si nous vivions dans un gigantesque vaisseau spatial en route vers l’infini. On retrouve ici encore l’influence du futurisme des années 1960/1970.
Cette exubérance froide semble être une traduction de cet appel vers le futur, de cet optimisme radical, de cette certitude d’être sur le point de dépasser les contingences matérielles du 20e siècle. Ce n’est pas tous les jours que l’on assiste à un changement de millénaire.
Les progrès en matière d’effets spéciaux et de technologie 3D permet l’émergence d’un art digital bien spécifique. Les logos 3D et les overlays « heads-up display » apparaissent partout dans les publicités et sur les pochettes d’album. Les artistes intègrent ces éléments dans leurs clips.
Tout cet univers esthétique se manifestait déjà à la fin des années 1990. La mode Y2K n’en est finalement que le climax. Des films cultes comme Matrix, le 5e élément ou Men in Black sortent tous à la fin des 1990s.
De même, l’époque Y2K, c’est la domination totale de la French Touch, ce style de house music qui nous éloigne des sons angoissants de la Trance pour nous amener vers quelque chose de plus raffiné, de plus avant-gardiste, de plus français. Les clips de groupes légendaires de l’époque, comme Daft Punk, ont une esthétique furieusement Y2K (futurisme, espace, robotique, soucoupes volantes, etc), mais bien plus sophistiquée et donc durable que tout ce qui se faisait à l’époque.
La mode Y2K est donc largement tributaire de celle de la fin de la décennie précédente. Le pop-punk, le mouvement rave, le nu-metal et la culture « street skater » naissent tous à partir du milieu des années 90 et atteignent le sommet de leur popularité au début des 2000s. Il en va de même pour la culture rap, qui devient véritablement mainstream dans les années 2000 et commence à détrôner le rock. Les nouvelles égéries de la culture pop américaine blanche chantent désormais sur des beats RnB et font des featurings avec les stars du gangsta rap.
Contrairement aux prédictions souvent farfelues et naïves des gens des années 1960/70 qui imaginaient que nous aurions tous des voitures volantes en l’an 2000, le techie branché en Y2K a une vision beaucoup plus pertinente d’un futur dans lequel il vit déjà. On le voit par exemple dans cette illustration du Eyewitness Book de 1998 prédisant la maison du futur en 2020 : objets connectés, sets de gaming, smartphones, montres connectées, casques virtuels, enseignement à distance, robots domestiques. Tout y est.
La mode Y2K a également eu un impact profond en architecture et design d’objet. Manifestement, l’influence du cybercore est considérable, ce qui nous donne l’esthétique chromecore de beaucoup de mobilier et d’appareils électroniques de l’époque : lecteurs CD, ordinateurs, consoles, téléphones et caméscopes sont souvent chromés, gris, lisses et courbés.
Hélas, l’influence cybercore va également se faire sentir dans l’architecture. Vers 1995 émerge la blob architecture (ou biotecture), inventée par des architectes qui tirent parti de l’apport nouveau des technologies de conception assistée par ordinateur (CAO) tout en s’inspirant du zeitgeist néo-futuriste de cette époque. Le Kunsthaus de Graz est un exemple typique de ce style architectural.
Un autre élément essentiel de cette époque est la passion pour les univers virtuels et les avatars. Le jeu The Sims sort en 2000 est devient un immense succès. Le monde virtuel « Second Life », sorti en 2003, est le premier metaverse connu à ce jour. Ce concept de l’avatar est évidemment quelque chose de propre à la culture digitale. En entrant dans le monde d’internet, nous adoptons avec enthousiasme l’idée d’une identité numérique, chose que nous avons plutôt tendance à rejeter aujourd’hui.
Il est sans doute utile de savoir que le terme « avatar » trouve ses origines dans la langue sanskrite. Dans la religion hindoue, un avatar désigne l’incarnation d’une entité super-naturelle dans une forme terrestre.
L’avatar est un concept connu dans l’univers des jeux vidéos des années 70 et 80, mais grâce aux progrès de la technologie 3D, il prend une toute autre dimension durant l’ère Y2K. Les avatars prennent alors des formes variées : assistants sur ordinateur, présentatrices TV, personnages de monde virtuel.
Flush de l’an 2000 et transition vers le style 2K1
Avec le recul, la mode Y2K semble avoir été très courte, bien que très impactante. Après 2001, on passe à l’ère 2K1, c’est à dire à la mode des années 2000 à proprement parler, celle qui est aujourd’hui récupérée par la génération alpha.
Le frisson de l’an 2000 étant passé, on s’affranchit peu à peu du néo-futurisme pour s’orienter vers quelque chose de plus coloré, tout en restant dans une certaine continuité.
Le début des 2K1 est marqué par une sorte de revival de l’Americana tendance Western/Plan Indien, qui donnera naissance à un revival chic-bohème plus tard dans la décennie.
L’influence 70s continue de se faire sentir. Les filles ressortent les mini-jupes (hélas) et on assiste au retour des pantalons bell-bottomed.
Côté musique, la chanteuse pop WASP devient désormais ouvertement une traînée et le revendique fièrement. Elle porte des crop-top, danse lascivement comme dans un strip-tease et laisse dépasser son string de son pantalon taille basse. Evidemment, les filles, au collège et au lycée, trouvent de bon ton de les imiter. Hélas encore, je m’en souviens.
Heureusement, la plupart n’allaient pas si loin et s’en tenaient à un look tweencore plus acceptable.
Les 2K1, c’est aussi également l’ère horrible du McBling (souvenez-vous de Paris Hilton ou de Britney Spears période « crise de nerfs ») ainsi que du UrBling. Même si le courant McBling peut trouver des précédents dans la mode Pimp, le look disco ou le style glam rock des années 70-80, son itération au début des années 2000 se signale par une exubérence particulière, à la fois extrêmement vulgaire, mais pourtant très intégrée au mood culturel ambiant.
Le fait que des filles de la haute société comme Paris Hilton revendiquent ouvertement leur côté « pouffiasse matérialiste indépendante » inspire forcément des millions de jeunes filles occidentales, qui adoptent l’état d’esprit it-girl/yolo. D’ailleurs, la dégénération ne touche pas que les adolescentes, mais aussi les jeunes femmes, voire les mères de famille. Des séries comme Desperate Housewives 2004) ou Sex and the City (1998) véhiculent un message hypergame, où la femme trouverait son épanouissement dans le divorce, dans la carrière professionnelle et dans la multiplication des boyfriends., tout en croyant notamment avoir le droit de trouver le prince charmant, évidement beau, milliardaire et attentionné.
Cette nouvelle itération de la révolution sexuelle a certainement joué un rôle dans l’émergence du féminisme de 3e génération et Paris Hilton peut sans doute être considérée comme le prototype de l’influenceuse du 21e siècle.
Dans la prolongation de l’esthétique Cybercore/Abstract Tech des Y2Ks apparaît le fameux style « Frutiger Aero », avec ses natures hyper-réelles, ses nuages, ses bulles et ses aquariums. C’est le style « Windows XP ».
On reste là encore dans l’imaginaire de l’infini, de la profondeur, le tout dans une sorte de nature artificielle, avec un côté quasiment dreamcore. Le style Frutiger ouvre la voie aux tendances graphiques du milieu et de la fin des années 2000, comme le Skeuomorphisme et les Bright Tertiaries.
Un revival sans saveur ?
Donc, si les années 2000 ne manquent pas de singularité esthétique (pour le meilleur et pour le pire), quel est le problème avec le revival actuel ?
En fait, ce n’est pas le revival en tant que tel qui pose problème. Ce qui pose problème, comme dit en introduction, c’est que la mode postmoderne tourne en rond. Elle ne semble pas être capable de se projeter dans quelque chose d’authentique et de nouveau à la fois. Elle ne fait que se répéter, se réfugier dans la nostalgie (ou dans l’hauntologie plus précisément), comme si elle était condamnée à ne pouvoir que rejouer le spectacle d’une version idéalisée de son passé.
En soi, ce n’est évidemment pas un problème que de s’inspirer des (bons) exemples du passé, surtout quand le présent s’égare. Après tout, nous sommes avons tous tendance à éprouver de la nostalgie pour une époque, connue ou pas, dont nous idéalisons les supposées valeurs afin de justifier (cope) notre difficulté à supporter une actualité pas toujours réjouissante.
Donc, la nostalgie, ça peut se comprendre. Le problème est ailleurs.
Le problème du phénomène revival, c’est que nos mouvements de mode postmodernes sont évidemment tous les produits de la culture postmoderne et donc du consensus idéologique de l’Occident libéral-libertaire. Par conséquent, nos mouvements de mode, loin de s’inspirer des traditions classiques de l’ancien monde honni, s’inspirent exclusivement des exemples propres à leur tradition, laquelle est en réalité une anti-tradition par définition. Le résultat de tout ceci, c’est le nihilisme et le simulacre permanents, régurgités par la machine néolibérale ad nauseam, comme le chien qui retourne à son vomi.
C’est donc le retour des horreurs des années 2000s, comme les crop top, les pantalons taille basse, les baggys difformes et des horribles Mostro de Puma qui, sans surprise, a osé en sortir une nouvelle collection pour profiter à fond de ce revival. Il est à craindre que le retour des Adidas montantes type « boxeur » très populaires au lycée à l’époque des premières éditions de la Star Academy n’est plus qu’une question de temps, hélas.
Ce qui rend le phénomène revival si difficile à appréhender, c’est qu’il débute souvent comme un phénomène relativement organique avant d’être récupéré par l’industrie de la mode et du divertissement. En fait, ce principe est vrai pour à peu près tous les mouvements de mode.
Par exemple, lorsque le style « blouson noir » de la fin des années 1950 est adopté par toute une partie de jeunesse européenne (en France, en Allemagne, en Angleterre, aux Pays-Bas) sous l’influence du plan Marshall et des films hollywoodiens, il est d’abord considéré comme profondément subversif, à raison, puisqu’il véhicule l’esprit de rebellion nihiliste et délinquant du rock’n’roll. Quelques années plus tard à peine, le rock est totalement récupéré par l’industrie du divertissement qui l’édulcore pour le rendre commercialement viable auprès de l’adolescent ordinaire.
C’est toujours le même schéma : conservation, disruption, fusion, diffusion. En l’occurrence, les disruptions commencent souvent par un mouvement organique, comme on l’a vu avec les modes des blousons noirs, des teddy boys, des beatniks ou des mods dans les années 50-60s. A priori, le revival 2000s a émergé de façon similaire. La génération née à la fin des années 2000 s’est prise de passion pour une époque qu’elle n’a pas pu connaitre, mais pour laquelle elle éprouve de la nostalgie.
Ce revival 2000s se matérialise d’abord, selon moi, dans le mouvement hyperpop, qui est lui-même une énième manifestation des mouvements musicaux « soundcloud » qui émergent spontanément de l’internet depuis le début des années 2010 (voir fin des années 2000), avec de jeunes artistes capables de produire depuis leur chambre d’adolescents des pièces de haute qualité technique de façon totalement autonome et indépendante des anciens circuits de l’industrie du divertissement, désormais dépassés par la décentralisation permise par internet et par l’accès quasiment gratuit à des outils de production jadis réservés à une élite professionnelle.
Le courant Hyperpop est une relecture « hyper-réelle » de l’ambiance musicale et culturelle des 2000s, autrement dit, d’une version usinée, « synthétique ». Il y a objectivement quelques perles de créativité dans ce mouvement musical, une créativité qui est tolérable dans la mesure où elle est majoritairement instrumentale, bien qu’il existe également des morceaux chantés et des pièces plus conceptuelles. Notre tolérance s’arrête évidemment là où commence la culture LGBT et féministe, particulièrement représentées dans ce nouveau courant en comparaison avec le mouvement Vaporwave, beaucoup plus « conservateur ».
Malgré cela, ce que je retiens de ce revival 2000s, ce n’est pas tant un manque d’authenticité, mais surtout une grande confusion, ainsi qu’une une sorte d’épuisement créatif que la nature « hyper-réelle » des mouvements musicaux évoqués ci-haut peine à dissimuler. Je l’ai écrit dans un autre contexte il y a deux ans : les mythes postmodernes sont en train de mourir face au retour de l’histoire réelle. Il n’est donc pas surprenant que son univers culturel, esthétique et musical s’enraye lui aussi.
Le grand flush des 2020s
Au final, comme toutes les modes, le revival 2000s finira par s’effacer. Et il s’effacera d’autant plus rapidement que la rotation des tendances s’accélère toujours plus sous l’effet des réseaux sociaux, en particulier de tiktok, où les trends s’enchainent et changent toutes les semaines, sans qu’il soit possible d’assimiler quoi que ce soit.
Il n’y a plus de mode, il n’y a que des tendances, de plus en plus passagères. Les tendances ne durent même plus une saison, mais à peine une semaine sur TikTok. Tout devient « core », tout devient « wave » : vaporwave, glitchcore, blokecore, barbiecore, bimbocore, zoomergaze, etc. C’est le grand flush des années 2020. Il y a autant de modes que d’individus. Il n’y a plus de codes, plus d’esprit de groupe (sauf dans la virtualité), plus d’intelligence sociale, ni de conscience de classe. Il n’y a plus que des produits et des consommateurs dans le vaste simulacre de l’hyperréalité. Le libéralisme-libertaire est en pleine décadence et attend sa mort.
La postmodernité devait finir ainsi, enfermée dans la folie qu’elle a elle-même créée.
De plus, cette incapacité grandissante à assimiler proprement l’esthétique et l’esprit d’une époque chez ceux qui suivent bêtement la tendance (principalement les ados et les jeunes adultes) fait que les inspirations des segments les plus vulgaires de la mode 2000s lassent rapidement et apparaissent pour ce qu’ils étaient : ridicules et grossiers.
A l’inverse, les gens de bon gout embrassent cette nostalgie des 90s-2000s de façon raisonnable, en ne conservant que le positif de cette époque. Or, il se trouve que les années 80, 90 et début 2000 sont des années fondamentalement conservatrices. Lorsque l’on se retourne sur cette époque et qu’on a un peu de gout, ce ne sont pas les modes dégénérées qui nous inspirent, mais bien l’esthétique suave, scintillante et rassurante qui en émane.
Autrement dit, les modes postmodernistes, principalement basées sur la subversion et la contre-culture, sont programmées pour mourir, laissant systématiquement le classicisme, l’intemporel, la stabilité, reprendre le dessus. Dieu merci.
Il y a cependant une différence de taille pour ceux qui comme nous, s’attachent à une certaine esthétique classique. Nous ne sommes pas animés par un esprit rétro. Le rétro, c’est souvent vulgaire et ridicule, parce que ce n’est rien d’autre que du déguisement. Nous, nous sommes à la fois dans la Tradition et dans la continuité. Nous assumons une certaine tradition, un certain état d’esprit immortel, mais nous sommes capables de le transporter vers le futur, sans renier ni rejeter notre temps présent et tout ce qui peut s’y trouver de bon et de vrai.
Il convient donc de ne pas sombrer à notre tour dans une hauntologie particulière, mais d’imaginer et de préparer le futur qui nous est propre.